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TEXTS


Rainer Ganahl - Jacques Rancière

Paris Outskirts - unedited, 2005/06

 

RG:
Qu est ce que vous pensez des evenements violents de banlieux a Paris ?
Earlier forms of revolt - 68 in Paris - were inspired by some degree of organisation and intellectual back up.
Do you think this is also the case in hte paris outskirts?
Also, do you think that these events are just spontanious or could they also have been the result of some kind of international jihad - ideolgogy that gets interpreted independently and ad hoc?

JR:
Je crains de n'avoir pas de choses bien originales à vous dire .Je n'ai vu les choses que de loin Il ne semble pas y avoir eu d'arrière-plan politique et idéologique bien défini dans ces événements. Rien de comparable à 68 où diverses organisations ont été à l'oeuvre et où le discours marxiste et la logique de luttte de classe - relayée par la grève générale - donnaient un cadre de pensée commune même à tous ceux - la grande majorité - qui n'étaient pas politiquement organisés. Pas non plus , à ce qu'il semble , d'esprit de jihad : le fait qu'une mosquée ait été atteinte par une grenade de la police a été ressenti comme une atteinte de plus à la communauté musulmane , mais les autorités et organisations religieuses ont massivement appelé au calme . C'est arrivé à la suite de ces deux morts accidentelles, cela aurait pu arriver pour une autre raison, à n'importe quel autre moment . Il y a une situation de fait de séparation d'une partie de la société. Les uns la décrivent comme l'existence d'enclaves de non-droit où la police ne peut plus entrer et où règne la loi des caïds, liés à la drogue ; les autres la décrivent comme une situation de ségrégation sociale et raciale de plus en plus forte : masse considérable de jeunes sans emploi, victimes d'une discrimination à l'embauche et au logement et constamment stigmatisés par les politiciens , les médias et le discours intellectuel dominant . Les deux ne sont pas incompatibles: la défense du groupe et du quartier ont joué très puissamment ici et ont pu fédérer ceux qui étaient mus par la révolte vis-à_vis d'une rélégation sociale et ceux que motivait plutôt le souci de garder le pouvoir sur leur territoire. Ce qui est sûr, c'est que c'est une situation qui peut exploser à tout moment et qui l'a fait , en l'occurence , non par le fait d'une organisation politique ou d'une propagande religieuse, mais par émulation entre des groupes de jeunes qui éprouvent ici et là les mêmes conditions de vie . On peut dire que c'est politique parce que c'est une réponse à une situation patente d'inégalité . Mais la réponse n'a pas été vraiment politique. Les mots d'ordre , en tout cas, ont surtout été de l'ordre du refus du discours de l'autre , assez loin donc d'une auto-affirmation politique et d'un défi adressé aux autres sur leur terrain .
Je ne sais pas si cela vous apprendra quelque chose de plus. Mais il y a des moments aussi où on a envie de ne pas trop expliquer et juger : le fait que ce soient toujours les mêmes qui expliquent et les mêmes qui soient l'objet de l'explication est aussi un élément de la situation inégalitaire.


RG:
I think you are totally right that these battles and raves of destructions don't have any of the political articulations of 1968. On the other hand these acts of direct violence are accompagnied by verbal productions and some degree of organization facilitated by internet blogs, on emails, on mobile phones and with sms-messages. There seems to be also some similarity to the lyrics of French RAP music, - another kind of ideological verbalization. Interestingly enough, the banlieue kids dress partially like US black inner city kids, with hoods, excersing similar mannerisms in movements and speech. Do you think that this seemingly apolitical articulations - compared to what we are used to as political in its classical formation - parallels the way capitalism works on the other end of the social spectrum via its products, via its consumerism and its priviledged social circumstances?
There is also something quite intriguing in almost all European centers where large immigrant populations are living under social duress: The urban situations starts to resemble the divisions of the colonial city as wonderfully described by Frantz Fanon, with clean streets on one end and dirty and run down quaters on the other and the police acting as interface. The post-colonial reality in many Western European cities - marginalized and unnoticed except when violence and crime escalate - starts to resemble to a certain degree to the hardship of the population refered to by Fanon as the “wretched of the earth” (les damnés de la terre). What do you think about that, since I'm sure you are very familiar with Frantz Fanon?


JR:
Comme je n'ai pas beaucoup de temps , je vous réponds en français , et d'une manière sommaire. Il est bien vrai qu'il y a toute une dimension discursive de ces mouvements : il y a des formes de mobilisation qui passent par l'Internet , les mobiles , etc.. et il y a des paroles qui circulent , essentiellement, à travers le Rap , qui disent la situation et les formes de conscience de ces jeunes. Mais je pense que la politique demande plus que ces formes de conscience et éventuellement de révolte d'un groupe. Elle demande la constitution d'un espace commun polémique , un espace d'interlocution où l'on parle pas simplement pour son groupe mais pour n'importe qui , un espace où le rapport même entre centre et périphérie ou inclusion et exclusion soit mis en scène et argumenté. C'est un espace difficile à construire depuis que le signifiant ouvrier a perdu sa capacité de subjectivation , et que ceux qui se révoltent n'ont pas d'horizon d'espérance autre que celui d'une participation de tous au mode de vie dominant , à ses produits et à ses emblèmes. Je ne suis pas sûr pourtant que l'on puisse assimiler l'état de choses actuel avec ce que décrit Fanon . L'hsitoire - occultée- de la colonisation pèse assurément de tout son poids sur la siuation française. Mais il n'y a pas l'équivalent de la machine coloniale d'exploitation, de répression et d'intégration. Je ne suis pas sûr que le schéma fanonien ait jamais exactement correspondu à la situation et aux capacités de révolte des colonisés. Mais, en tout cas , les colonisateurs étaient la minorité étrangère qui gouvernait clairement - et avec sa propre légitimité - les peuples colonisés. Les habitants des quartiers défavorisés sont, eux , la minorité au sein d'un système où la domination apparaît comme la loi endogène d'un système sans dehors et qu'ils ne contestent pas comme tel. Ils ne sont les damnés de la terre ni au sens de l'Internationale ouvrière ni au sens des révoltés de Fanon . Leur manière d'être en même temps dedans et dehors n'a pas encore trouvé sa formule politique , entre l'appartenance consumériste et la rupture destructrice.

 

RG:
Est ce que les gents de votre époque - autour d'Althusser - ont lu Frantz Fanon? Did people in your circle pay attention to Frantz Fanon?
In the USA Frantz Fanon has become a key thinker but I am well aware that until recently his books weren't easy to find in France.
JR:
Fanon était lu à l'époque , mais pas comme une référence théorique , plutôt comme un penseur de la révolution du tiers-monde. "Les Damnés de la terre " (avec la préface de Sartre ) était l'un des tout premiers titres des Editions Maspéro qui publiaient tous les textes liés à la révolution cubaine , à la révolution algérienne et à tous les mouvements révolutionnaires en Afrique ou en Amérique latine. Maspéro a aussi publié Althusser. Mais Fanon n'était pas une référence théorique dans le cercle althussérien (Althusser restait très lié au Parti Communiste Français et méfiant à l'égard de tout ce qui s'éloignait de la ligne orthodoxe en matière de révolution ) . En tout cas l'intérêt pour Fanon à l'époque était assez différent de celui d'aujourd'hui aux Etats-Unis qui me semble beaucoup plus culturaliste , sinon identitaire. Fanon , à lépoque, apparaissait clairement comme un penseur de la révolution opposé au thème de la négritude.

 


RG:
How would you describe the "usage americain" de Frantz Fanon? Do you think an American reading could help understanding the current French conflict in regard to the cultures developed beyond the peripherique? I really liked when you pointed out earlier that the revolting and car burning kids from French suburbs are living the ambivalence of participating in consumerist culture and the destructive rupture against it. A similar - though non violent - ambivalence is also analysed in "Peau Noire, Masques Blancs" in the 1950s. Fanon described the confusions colonial/ post-colonial subjects were experiencing living the center and the periphery in contradicting and conflicting ways.

JR:
Ma vision est évidemment très lointaine . Je veux dire simplement que Fanon a été intégré , aux Etats-Unis , à une problématique culturelle de la construction et de la déconstruction des identités , dans la lignée d'Edward Saïd et des études post-coloniales , alors que le Fanon de l'époque, surtout préfacé par Sartre, était un militant du "nouvel homme" forgé par la lutte anti-coloniale qui le débarrassait aussi bien de son identité culturelle que de celle que lui avait imposé le colonisateur. Le livre qui résumait Fanon à l'époque était /Les Damnés de la terre /et non /Peau noire, masque blanc . /Sans doute on peut expliquer les comportements des jeunes en question aujourd'hui comme manifestation d'une schizophrénie un peu semblable à celle que décrivait Fanon. Mais c'est une explication sociologico-culturelle plutôt que l'analyse d'une dynamique politique . Cela dit , la totale absence , dans l'intellitgentsia française, d'une réflexion sur le colonialisme et ses suites est évidemment un élément de poids dans la coupure à laquelle on assiste aujourd'hui entre la France officielle et ces Français-là (puisqu'ils sont français et que , en majorité, ils réagissent plus à la différence entre deux sortes de Français qu'en termes de rupture avec cette identité)

 


RG:
Your comment on the rupture between the official French and "ces Français-là" appears to me very accurate and seems to have gotten its complementary official confirmation with today's parlamentary vote to uphold a law that misrepresents France's colonial past, something historians and former colonial subjects so much protest against. International news organizations also state that it was only in 1999 that France finally called the Algerian conflict a "war." Before this, officials spoke only of operations to "maintain order" - something of course, that brings to mind the current US politics of invasions and wars for freedom and democracy.
Interesting enough, le livre "Les damnés de la terre" also includes texts that address questions of technology - l'usage de la radio dans la periode de la revolte et de la guerre - of knowledge and medicine and of many other issues that also played a role in the recent banlieues unrests. (with about one hundred cars burning every night, French news now call the situation "normal".)
Ironically speaking, the "nouvel homme" of Satre and others, coined to refer to Fanon, has today taken on a really " nouvel” cast--a religious one, a fundamentalist one. The "nouvel homme" of today is a revolting man that speaks to power with religion, Molotov cocktails and stronger explosives. From what I remember, even dans "Les damnes de la terre", many observations - for example, the head scarf [le foulard] - and the layout of the two cities - seem so contemporary as if it were written yesterday, and not nearly 50 years ago. Wouldn't an active integration into the school curriculum of Fanon's text (instead of writings on "the positive role of France in the colonies") at least keep a discussion on these complicated issues alive?

JR: --- no reply yet ---

 


RG:
What do you think about the charicatures of Mohammed that caused such violent reactions in parts of the Islamic world, burnings of embassies and cultural missions, even people beeing shot in violent protests accross the Isalamic world and other malaise? What do you think will be the impact ón the press as well as on our intercultural relationships?

JR: (J'espere que vous pourrez comprendre mon francais sur clavier americain.)
Mon avis sur les cartoons se resume en deux points.

le premier est que ces cartoons participent d'une campagne qui vise a attiser les tensions intercommunautaires , qu'ils s'inscrivent dans un contexte marque par de nombreuses declarations d'hommes politiques ou d'intellectuels tendant a stigmatiser intellectuellement des populations deja confrontees a des situations de relegation sociale en assimilant Islam avec fanatisme et arrieration , donc qu'une telle publication est politiquement condamnable dans son principe et dans ses effets.
Le deuxieme point est qu'une condamnation politique est une condamnation politique , que ce qui lui donne sens est precisement la possibilite que toutes les formes d'expressions circulent librement . Je suis donc oppose a toute campagne demandant qu'on restreigne la liberte de publication au nom du respect des opinions religieuses. Je ne me permettrais pas d'empecher qui que ce soit de pratiquer sa religion. Mais je n'admets pas qu'on restreigne la liberte d'expression au nom du respect des croyances religieuses. Les interdits religieux s'imposent aux hommes qui pratiquent cette religion et a eux seuls. Par ailleurs les religions ont massacre et massacrent encore suffisamment de monde pour qu'il soit permis a tout le monde de les denoncer , de les tourner en derision, etc.
Comme on a fait un parallelisme boiteux avec l'holocauste et le negationnisme , qui est un probleme de verite et de faussete factuelle et non un probleme d'interdit religieux, je precise que j'ai toujours ete oppose aux lois punissant le negationnisme. On a le droit de mentir et de falsifier , quitte a repondre des consequences de ses mensonges.Et on a le droit d'injurier qui on veut dans ses paroles et ses ecrits , quitte a repondre des actes de violence que ces injures peuvent entrainer.

 


RG:
The principal logic for the freedom of expression is understandable but the practicallity of it becomes more and more a liability for everybody involved and even governments. In these days, expressions of sensitive content - Mohamed cartoonns in newspapers, art works, literature, or even just critical depiction of Muslims on film - provoke extensive economic boycottes, murder, incentives to murder (Fathwas and big head bounties) and riotes ending in destruction and dead bodies in the streets. The latest provocation by an Italian right wing politician who showed a T-shirt with one of these cartoons forced him to resign and seems to create to split the ruling coallition. (and I'm not talking here about the dozens of people who were shot dead in protests across the world just in the wake of this specific T-shirt incident.) The concequences are that people practice self-censorship and are literally forced to do so or risking their lives and that of others. What do you think about this and where might all this end, theoretically and practically?

JR: